Mesure de la réaction émotionnelle aux publicités de Noël de Toys R Us, The Body Shop, IKEA et Coca-Cola
imarklab et Léger sont des firmes de recherche. En tant que chercheurs passionnés, il nous arrive de s’amuser à l’interne et de faire de la recherche sur nos propres méthodes de recherche. Ces derniers temps, nous nous intéressons particulièrement à la mesure des émotions réalisée grâce au logiciel FaceReader qu’utilise le Tech3Lab de HEC Montréal. Nous avions l’habitude d’utiliser cette technologie lors de tests usagers sur des interfaces Web ou mobiles. Or, cet automne, nous l’avons utilisée en contexte politique pour analyser les émotions faciales des chefs de parties fédéraux. Cette fois-ci, nous nous sommes penchés sur la réaction émotionnelle à la publicité.
Nous avons recruté onze employés de Léger, et les avons invités à venir visionner individuellement quatre publicités de Noël : « Like Father, Like Daughter » de Toys R Us, « Jingle Bells » de The Body Shop, « Soft Toys 2015 » de IKEA, et « Share the Good » de Coca-Cola. Nous avons mesuré leurs émotions faciales pendant chacune des publicités, puis avons discuté avec eux pour savoir laquelle ou lesquelles ils avaient préférée(s).
Bilan émotionnel des publicités analysées
Les publicités ayant généré les réactions émotionnelles les plus fortes ont été les plus appréciées des participants, soient celles causant le moins de neutralité. Les participants s’entendaient pour dire que la publicité de Toys R Us était leur préférée, suivie de celle de Body Shop. Ils ont dit moins apprécier celles d’IKEA et de Coca-Cola. En plus d’être la publicité ayant causé le moins de neutralité (27%), la publicité de Toys R Us est celle qui a le plus de surpris (17%). Pour sa part, la publicité de The Body Shop se classe effectivement au deuxième rang avec 29% de neutralité, et remporte la palme de la joie (11%) parmi les quatre publicités analysées.
Qu’est-ce que ce taux élevé de colère ?
C’est exactement la question que je me suis posée lorsque j’ai vu les résultats des analyses pour la première fois. Puis, je me suis souvenue que nous avions une réticence naturelle à la publicité – nous ne choisissons pas toujours de cohabiter avec elle. Une étude réalisé en Chine et rapportée par eMarketer (2015) a montré que 87% des gens qui sont exposés à des publicités vidéo ont une attitude négative par rapport à celles-ci. Aussi, 55% des utilisateurs de médias sociaux américains disent que les publicités sur ces plateformes les indiffèrent, ou perturbent leur expérience (eMarketer, 2015). Ces données confirment que la colère est quasi-inévitable lorsqu’une publicité vidéo est imposée à un consommateur sur le Web ou à la télévision.
Le bilan émotionnel est révélateur, mais ce n’est pas la donnée la plus intéressante rapportée par FaceReader en contexte publicitaire. La valence émotionnelle nous permet d’associer des extraits spécifiques d’une publicité à la variation de l’intensité positive ou négative de l’émotion. En d’autres mots, qu’est-ce qui fait réagir à quel moment : le « quoi » et le « quand » des émotions. Voici comment cela se traduit :
1. Toys R Us : Like Father, Like Daughter
En plus d’être la publicité préférée des participants, la publicité de Toys R Us est la seule à s’être terminée par une réaction émotionnelle globalement positive de leur part (courbe de valence au-dessus de l’axe horizontal). L’omniprésence de colère dans le visage des participants a su garder cette courbe dans le négatif ou très près de la neutralité (axe horizontal) pour les autres publicités analysées.
Le parcours émotionnel des participants correspond aux trois volets de l’histoire racontée par Toys R Us. Dans un premier temps, il y a un sursaut positif lorsque la mère du bébé vient « à la rescousse » de son père qui ne sait pas comment s’y prendre. À ce moment, plusieurs participants ont ri. Dans un deuxième temps, l’histoire devient plus sombre – le père n’arrive pas à développer de relation avec sa fille, qui ne partage pas sa passion pour Star Wars. Il y a finalement une montée positive de la réaction émotionnelle lors du dénouement. La petite fille est finalement « comme son père » et manie un sabre laser avec passion, ce qui a laissé les participants sur une note positive !
2. The Body Shop : Jingle Bells
La publicité de The Body Shop est la deuxième préférée de nos participants. À défaut d’avoir engendré autant d’émotions positives que celles de Toys R Us, elle a occasionné le plus de sursauts émotionnels. Fait cocasse : trois des quatre pics les plus positifs sont survenus lorsque le même acteur était présent à l’écran. Il semble avoir un « je ne sais quoi » qui a plu au public ! Pour ce qui est du dernier pic, il correspond à la conclusion de la partie chantée de la publicité, et à un gros plan sur des caleçons rouges…
On remarque que la réaction émotionnelle des participants devient négative à ce moment lorsque l’emphase est mis sur la promotion du produit de façon plus traditionnelle à la fin de la publicité. Le tout se termine tout de même sur une note positive, ce qui logique en considérant que les participants ont gardé un bon souvenir de cette publicité.
3. IKEA : Soft Toys 2015
Plusieurs participants ont affirmé que la publicité d’IKEA était trop longue, et un peu trop clichée dans son utilisation des enfants. Il semble toutefois que les enfants aient eu un impact sur leur réaction émotionnelle. Les quatre pics d’émotions les plus positifs y sont directement liés : un gros plan sur tous les dessins de peluches qui ont été réalisés, le moment où les idées des enfants sont transformées en peluches réelles, et deux scènes où nous voyons des visages d’enfants heureux qui reçoivent la peluche qu’ils ont créée.
À la fin de la vidéo, la valence émotionnelle devient de plus en plus négative. Cette descente est explicable par la longueur de la vidéo, mais également par la frustration engendrée par le cliché des enfants heureux en publicité.
4. Coca-Cola : Share the Good
Les participants sont unanimes : la publicité de Coca-Cola est la moins intéressante des quatre. En regardant la courbe de valence, on remarque en effet que la réaction émotionnelle est la plus négative observée pendant l’ensemble de la publicité. La courbe est celle qui est la plus éloignée de l’axe horizontal. Or, l’émotion devient rapidement plus positive à la fin de la publicité lorsque le logo de la marque est présenté avec sa musique emblématique, ramenant ainsi la moyenne des participants vers la neutralité.
Le logo et la musique de Coca-Cola évoquent quelque chose de familier et de chaleureux, qui permet de terminer la publicité sur une note positive. Bien que les participants aient moins aimé cette publicité, ils ne l’ont pas dénigrée. Dans l’ensemble, ils s’entendaient pour dire qu’elle correspondant à « ce que l’on s’attend de Coca-Cola ».
Lecture des émotions faciales et efficacité publicitaire
Il est vrai que nous avons comparé des publicités avec des formes distinctes qui présentent des produits totalement différents. Rappelons que l’objectif n’était pas de faire un rapprochement entre un jouet, un gel de douche, une étagère et une boisson gazeuse, mais plutôt de tester la mesure des émotions faciales en contexte publicitaire (faire de la recherche sur de la recherche). Nous en tirons des conclusions fort intéressantes. La valence émotionnelle a pu être liée directement à « l’histoire » racontée par chacune des publicité analysée. Elle nous a également permis d’approfondir notre compréhension du discours verbal des participants, et de confirmer les résultats d’études antérieures sur la publicité et les vidéos diffusées sur le Web.
Les deux publicités favorites des participants, et donc celles qu’ils seraient le plus susceptibles de regarder par eux-mêmes, sont humoristiques. Notons que la raison principale pour laquelle les utilisateurs de téléphones intelligents se disent enclins à porter attention à une publicité vidéo, est le fait qu’elle soit drôle ou humoristique (eMarketer, 2015). Il a également été démontré que les vidéos causant une réaction émotionnelle intense (positive ou négative) étaient les plus susceptibles d’être partagées sur le Web et de devenir virales – plus l’émotion est intense, le mieux la vidéo performera (Harvard Business Review, 2015). C’est exactement ce que nous avons observé grâce au bilan émotionnel : les publicités ayant causé les réactions émotionnelles les plus fortes sont celles qui ont été le plus appréciées des participants. Plus précisément, la vidéo de Toys R Us, qui s’est classée au premier rang, est celle ayant le plus surpris les participants. Cela est cohérent avec une étude publiée dans le MIT Sloan Mangement Review (2015) qui a montré que les vidéos qui sont « surprenantes émotionnellement » sont celles qui risquent d’être les plus « aimées » et visionnées sur le Web.
Est-ce que la mesure des émotions faciales a de la valeur en publicité ?
Oui. Cette mesure objective nous permet d’approfondir notre compréhension de la donnée qualitative que nous pouvons récolter en réalisant des entrevues individuelles, ou des groupes de discussion par exemple. Elle nous permet de lier les propos des consommateurs à des extraits concrets d’une publicité vidéo. Dans ce cas-ci, nous nous sommes intéressés à quatre publicités différentes, mais la mesure des émotions faciales serait particulièrement pertinente pour comparer des publicités qui se ressemblent, qui présentent un même produit ou sont différentes versions d’une même publicité.
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Détails sur la méthodologie
Les participants étaient tous des employés de Léger, qui ont accepté de collaborer au projet. Au total, six femmes et cinq hommes d’âges variés n’ayant jamais travaillé avec les technologies utilisées par imarklab ont été recrutés. Ils ont été invités à visionner les quatre publicités à tour de rôle – leur visage a été enregistré tout au long du visionnement avec une webcam. Pour éviter toute influence externe des émotions faciales, les participants étaient seuls dans une salle réservée à cet effet tout au long du visionnement. L’ordre de présentation des publicités variait pour chaque participant.
Suite à la collecte de données, les vidéos de tous les participants ont été découpées en quatre segments (un segment par publicité) – pour un total de 44 vidéos, puis analysées avec le logiciel FaceReader au Tech3Lab de HEC Montréal. Le bilan émotionnel (% de chaque émotion) ainsi que la valence émotionnelle ont été calculés pour chaque publicité (moyennes pour tous les participants). Les résultats rapportés sont donc basés sur l’analyse de ces chiffres et l’observation des tendances.
Pour plus d’information sur FaceReader, nous vous invitons à consulter le billet suivant : Les expressions du visage comme source d’information. Pour voir comment nous avons utilisé FaceReader en contexte politique, vous pouvez consulter notre billet sur le débat des chefs fédéraux en français à Radio-Canada, le débat Munk ou le Face à Face TVA.
Sources :
- eMarketer (2015). « Primary Attitude Toward Social Media Ads According to US Social Media Users, by Site/App, Aug 2015 », graphique.
- eMarketer (2015). « Reasons that Mobile Users Worldwide Are Less Likely to Skip Digital Video Ads and Pay More Attention to Them, July 2015 », graphique.
- eMarketer (2015). « Viewers in China Not Loving Digital Video Ads », article.
- Harvard Business Review (2015). « Why Some Videos Go Viral », Harvard Business Review, Septembre 2015, p. 34-35.
- Pirouz, D. M., Johnson, A. R., Thomson, M. et R. Pirouz (2015). « Creating Online Videos That Engage Viewers », MIT Sloan Management Review, vol. 56, p. 83-88.