La vie privée est-elle un enjeu clé pour les consommateurs?
Rien n’est gratuit dans ce monde. Sauf que ces dernières années, Internet a popularisé la gratuité des produits et services offerts sur le Web. Pensez à toutes ces applications ou ces services que vous utilisez sans payer un sous : Facebook, Twitter, YouTube, Google, Snapchat, etc. L’avènement de ces plateformes gratuites s’explique par l’affaissement des barrières à l’entrée qui a mené à une concurrence accrue. En effet, tout le monde peut lancer son entreprise sur Internet, et ce, à des coûts relativement faibles, d’où l’importance d’être concurrentiel au niveau du prix si on veut se démarquer. Évidemment, cette gratuité n’est qu’illusoire ; elle est basée sur un modèle d’affaires centré sur les revenus publicitaires.
Ainsi, au lieu de fournir une somme monétaire comme il fût jadis le cas, l’utilisateur donne, consciemment ou pas, un bien intangible qui peut finir par valoir beaucoup plus à long terme : ses informations personnelles. Ces dernières rempliront des bases de données qui permettent aux entreprises de cibler des consommateurs par des publicités, soit la principale source de revenus pour les entreprises qui adoptent ce modèle d’affaires. Plus on cible de façon précise, plus la publicité engendre des revenus, ce qui explique la quête sans fin pour vos données non seulement sociodémographiques, mais également en lien avec vos habitudes de vie. Cette stratégie innovante, constamment peaufinée par des géants du Web tels Google et Facebook, est devenue le modèle de base pour plusieurs startups issues du monde technologique.
Cependant, la question de la vie privée a gagné en importance ces derniers temps. On doit une part de cette prise de conscience aux divulgations d’Edward Snowden quant à l’utilisation qui est faite des données « privées » par le gouvernement américain, mais aussi par les nombreuses brèches de sécurité qui ont compromis les données privées des utilisateurs de divers services. Ces fuites hautement médiatisées frappent l’imaginaire collectif de la population. Ainsi, la perception de gratuité, jadis un fort argument de vente, s’estompe graduellement. C’est gratuit… mais à quel prix ?
Retour à des modèles plus classiques ?
Anticipant ce changement global dans les perceptions de la gratuité, Google et Facebook ont choisi d’être beaucoup plus transparents quant à l’usage qu’ils font des données, en publiant des guides sur la gestion de ses données privées. Puisque la majeure partie de leurs revenus provient de la récolte de ces données, ils ont intérêt à ce que la population n’en ait pas une perception négative. Ces sites Web tentent également de justifier la collecte de données en démontrant comment les informations récoltées permettent de trouver des produits qui répondent à aux besoins spécifiques de chaque utilisateur. Par exemple, Google Now, un assistant numérique qui anticipe ce dont l’utilisateur aura besoin à chaque moment de la journée, ne serait possible sans la collecte de données personnelles.
De plus, les entreprises misant sur des revenus publicitaires tentent de se diversifier, question de ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier. C’est notamment pour cette raison que Google explore plusieurs avenues comme les voitures intelligentes et les Google Glasses, ou que Facebook a fait l’acquisition de Oculus Rift. Il est trop risqué dans ce contexte de miser exclusivement sur les revenus publicitaires.
De son côté, Apple a plutôt vu une opportunité de se différencier de ses grands concurrents. Ayant la chance de ne pas dépendre de revenus publicitaires puisqu’elle est une entreprise qui vend du hardware avec des marges élevées d’abord et avant tout, Apple a commencé à axer sa communication sur la protection des données privées :
« [Les entreprises] gobent tout ce qu’ils peuvent sur vous dans l’optique de monétiser ces informations. Nous trouvons que ceci est mal. Ce n’est pas le genre de compagnie qu’Apple veut être. »
C’est ce qu’affirmait tout récemment le PDG d’Apple en faisant référence à Google de façon à peine voilée. Il faut cependant noter qu’Apple a également fait l’objet de brèches importantes qui ont fragilisé la confiance du public à son égard; il faut réparer les pots cassés.
Il sera intéressant de suivre l’évolution de la perception du public quant à l’usage des données privées dans les prochaines années. Sera-t-on prêt à payer plus pour avoir l’esprit tranquille ? Abandonner des écosystèmes au nom de la vie privée ? C’est loin d’être une certitude : Ello, qui proposait un « Facebook » sans publicité et donc sans invasion de la vie privée, a vécu son heure de gloire… pour ensuite sombrer dans l’oubli à tout jamais. À suivre.