Débat éthique entourant la publicité comportementale en ligne
Le débat éthique concernant la collecte et l’utilisation des données personnelles des internautes fait jaser depuis quelques temps, surtout lorsque ces renseignements sont exploités à des fins de publicité comportementale en ligne. Les publicités que nous voyons en ligne sont particulièrement bien ciblées. Le mystère entourant la justesse des annonceurs peut être effrayant en nous donnant l’impression de perdre le contrôle de notre vie privée. Avez-vous l’impression d’être constamment suivi virtuellement ?
Option consommateurs a récemment rendu public une recherche dénonçant les pratiques des entreprises qui recueillent des renseignements personnels en échange de services en ligne sans frais. Plusieurs géants du Web sont pointés du doigt dont Google, Facebook, Microsoft et Yahoo. Penchons-nous sur ce rapport intitulé « Le prix de la gratuité. Doit-on imposer des limites à la collecte de renseignements personnels dans le cadre de la publicité comportementale en ligne? ». Que penser de ce débat éthique ?
La PCL ou le Big Brother des temps modernes
La publicité comportementale en ligne (PCL) est en quelque sorte le Big Brother des temps modernes. Ici, Big Brother est représenté par Google et Facebook qui dressent votre profil à partir de vos activités de navigation afin de vous envoyer des publicités ciblées. En fait, ce sont toutes les entreprises qui offrent des services sur Internet sans coût monétaire, mais en échange de vos informations personnelles. Nous adhérons à cet échange lorsque nous consentons aux conditions d’utilisation d’un moteur de recherche ou d’un média social pour l’utiliser gratuitement (ou presque).
Pour reprendre les termes d’Option consommateurs, ces entreprises ont des « tentacules » pouvant s’étendre au-delà de la prestation de leurs services. Par exemple, Google fait affaire avec un réseau de partenaires qui lui permet de nous suivre partout sur le Web et Facebook peut nous suivre sur les sites Web munis de boutons « Like ».
Divulgation d’informations contextuelle
Est-ce que les consommateurs comprennent qu’ils divulguent des informations sur le Web ? Quelles informations sont-ils prêts à fournir pour un service dit gratuit ?
Selon des groupes de discussion tenus à Montréal et Toronto, la majorité des gens sont prêts à divulguer des informations personnelles à des fins publicitaires, mais seulement dans certains contextes. Bien que la notion d’intimité varie d’un consommateur à l’autre, la plupart des gens ne veulent pas que des informations telles leur état matrimonial, statut familial, origine ethnique, croyance religieuse, dossier médical, vie amoureuse ou sexuelle, et situation financière soient utilisées. Notons que les jeunes consommateurs sont moins préoccupés par la collecte et l’utilisation de leurs renseignements personnels en ligne. Ils disent n’avoir « rien à cacher ».
Les consommateurs ne sont pas dupes, et sont conscients du ciblage publicitaire sur le Web. Dans l’ensemble, ils doutent qu’il soit possible de désactiver le suivi de leurs activités malgré l’existence de logiciels comme AdBlock. Dans cette optique, ils aimeraient être davantage informés sur les pratiques des entreprises en matière de PCL.
Point de vue légal sur les renseignements personnels
C’est la Loi sur la protection de renseignements personnels et des documents électroniques qui entre en jeu lorsqu’il est question de collecte de données personnelles sur le Web au Canada. Les informations qui rendent un individu identifiable ne peuvent pas être utilisées. Qu’est-ce qui rend un individu identifiable ? Cette notion est relative. C’est d’ailleurs ce qui pose problème selon la recherche d’Option consommateurs. Un cookie et une adresse IP ne permettent pas d’identifier une personne, mais lorsque ces informations sont combinées avec d’autres, c’est une autre histoire.
Pour ce qui est des données sensibles, la Loi considère « sensible » ce qui concerne le dossier médical et le revenu d’une personne. Sous l’angle de la jurisprudence, on parle de toute information qui risquerait de créer de l’embarras pour un individu ou de créer un dommage objectif si elle est révélée (fraude, etc.). À ce niveau, la Loi, la jurisprudence et les consommateurs semblent se rejoindre. Sexe, argent et santé. Ce sont les éléments considérés comme étant sensibles légalement et par les consommateurs.
Prix de la gratuité des services en ligne
Les renseignements personnels sont une monnaie d’échange pour accéder à des services en ligne. À l’heure actuelle, on semble imposer un prix sans plafond aux consommateurs. Lorsque nous consentons à utiliser Google ou Facebook, nous consentons à ce prix par défaut. Pour Option consommateurs, il y a un déséquilibre contractuel que le droit canadien tarde à reconnaître. Selon Nicolas Vermeys, Professeur à l’Université de Montréal, la gratuité d’utilisation a un prix bien réel :
« Nos renseignements personnels ont une valeur. S’ils n’en avaient pas, les entreprises ne les recueilleraient pas. Il est faux de dire que c’est gratuit; ce n’est pas une donation de la part de Facebook, c’est un troc, un contrat d’échange. D’un côté, il y a un service, contre, de l’autre côté, vos renseignements personnels. »
La recherche suggère que le principe de limitation soit revisité dans ce contexte. Si le prix d’un service se fixe en termes de données plutôt qu’en dollars, combien de renseignements personnels peuvent-ils être exigés justement du consommateur ?
Conclusions de la recherche d’Option consommateurs
Plusieurs recommandations sont présentées à la fin du rapport : pour l’État fédéral et les provinces, les commissariats à la protection de la vie privée canadiens et aux autorités chargées de l’application des lois en matière de protection des renseignements personnels, ainsi que les fournisseurs de services sans frais sur Internet.
On suggère de mettre en œuvre des mécanismes de consentement simples, efficaces et harmonisés aux conditions d’utilisation des services en ligne et d’encourager l’apprentissage numérique des Canadiens. Il est vrai que peu de consommateurs comprennent pleinement leur pouvoir quant à leurs informations sur le Web. On propose également de clarifier le concept de renseignements personnels et d’élargir les catégories de renseignements dites sensibles pour y inclure la géolocalisation. Qu’est-ce qu’un renseignement personnel de façon concrète ? Au final, on veut promouvoir la transparence en ce qui a trait aux pratiques publicitaires afin de permettre un consentement plus éclairé. On encourage d’ailleurs les consommateurs à porter plainte s’ils considèrent que leur vie privée n’est pas respectée.
Scandale ou évolution numérique ?
Cette recherche porte certes à réfléchir sur les enjeux éthiques de la collecte d’informations en ligne. Le Big Brother des temps modernes sera peut-être contraint à faire preuve de plus de transparence dans les prochaines années. Est-ce que la collecte et l’utilisation de renseignements personnels sur le Web diminueront ? Ce serait surprenant. D’une part, ces données sont au cœur des modèles d’affaires des moteurs de recherche et des médias sociaux. D’autre part, les consommateurs sont ceux qui demandent des expériences Web et en magasin de plus en plus personnalisées. Ce ne sont pas seulement les fournisseurs de services en ligne qui collectent des données sur les consommateurs. Des entreprises de toutes sortes ont intégré cette pratique à leur modèle d’affaires, notamment via les programmes de fidélisation.
Qu’on le veuille ou non, la personnalisation est rendue possible grâce à l’utilisation de nos données personnelles. Comme dans toute chose, les entreprises s’adapteront avec le temps, et pourront éviter les scandales éthiques comme celui de Target qui a annoncé à la famille d’une adolescente qu’elle était enceinte avec de la publicité ciblée. Personnellement, j’ai l’impression que si les entreprises vont réellement trop loin dans l’utilisation des données personnelles, les consommateurs leur feront savoir et elles seront forcées de s’adapter. Ne sommes-nous pas à l’ère du consumer empowerment ? La PCL fait-elle exception au phénomène ? Je ne sais pas s’il s’agit d’une perception propre aux Millenials, mais je suis de ceux qui préfèrent être exposés à des publicités ciblées si je suis forcée à voir des centaines de publicités tous les jours sur le Web de toute façon. Est-ce un cas de scandale éthique ou de simple évolution numérique ?
Que pensez-vous de la PCL et des enjeux éthiques qui l’entourent ?