Les expressions du visage comme source d’information
Quand nous pensons à la communication interpersonnelle, le langage est la première chose qui nous vient en tête. Cela dit, le non verbal joue un rôle tout aussi important. Dans un contexte de recherche, l’analyse du langage non verbal approfondit notre compréhension de différents phénomènes et les émotions qu’ils suscitent chez les gens. Une part importante du non verbal passe par les expressions du visage d’une personne. Comme vous avez pu le voir à travers nos billets de blogue sur l’analyse des émotions faciales des chefs de parti lors des débats pour les élections fédérales 2015, les expressions du visage d’une personne peuvent nous renseigner sur ce qu’elle ressent et même identifier s’il y a contradiction entre le verbal et non verbal.
Comment tout a commencé…
Le psychologue américain Paul Ekman fait figure de proue dans le domaine des expressions faciales. À travers ses travaux, il s’est efforcé de répondre à une question:
« Est-ce que les expressions faciales, au même titre que la langue, sont propres à chaque culture? »
Pas facile de répondre à cette question! À travers plusieurs séries d’études, Dr Ekman a exposé des gens de plusieurs cultures (il s’est même rendu en Nouvelle-Guinée pour étudier des cultures isolées du reste du monde) à des expressions faciales, souvent à travers des photos, pour ensuite demander aux gens de juger de l’émotion qui était exprimée sur les photos. Les résultats ont indiqué que la majorité des sujets partageait le même avis. Dr Ekman a conclu qu’il y a donc quelque chose d’universel dans les expressions exprimées par nos visages. Toutefois, cela ne signifie pas que tous les aspects des expressions faciales sont universels puisque plusieurs éléments vont varier d’une culture à l’autre, par exemple dans quelles circonstances il est considéré approprié d’exprimer telle ou telle émotion.
Sur la base de ces résultats, Dr Ekman a construit un « atlas du visage » où il a catalogué les différents mouvements possibles du visage. Ces mouvements peuvent être associés à l’une de six émotions de base communes à toutes les cultures : la joie, la surprise, la crainte, la tristesse, la colère et le dégoût. À ces six émotions s’ajoute la neutralité.
L’émotion est une réalité complexe qui ne peut être décrite complètement par un seul et unique mot, comme « joie ». Chaque émotion varie en intensité. En fait, chacune des six grandes émotions énumérées plus tôt fait référence à une famille d’émotions plus spécifiques. Par exemple, la colère peut référer à la hargne, la rage, l’agressivité, etc. Selon le Dr Ekman, l’intensité des émotions se reflète également dans le visage, mais l’état actuel de la science ne permet pas de la capter et la mesurer.
L’outil FaceReader
Pour évaluer la réponse émotionnelle face à un stimuli, nous utilisons FaceReader, qui est en mesure d’identifier les six grandes émotions. Le logiciel mesure également la valence de l’émotion, c’est-à-dire si l’émotion, ou l’amalgame d’émotions, que ressent une personne est positive ou négative. FaceReader peut être utilisé à partir d’enregistrements déjà réalisés de visages ou encore en direct à partir d’un flux vidéo. Dans tous les cas, le visage du sujet doit être clairement visible.
L’outil classifie l’intensité de chaque émotion que le sujet ressent à un instant donné selon une échelle de 0 à 1, où 0 indique que l’émotion est absente et 1 qu’elle est totalement présente. La solution reconnaît six émotions : la joie, la surprise, le dégoût, la crainte, la surprise et la tristesse. Il est possible qu’un sujet exprime plus d’une émotion à la fois. Nous évaluons également la valence de la réaction émotionnelle globale, c’est-à-dire si cette réaction est positive ou négative. Le niveau d’éveil, donc l’excitation / activation du sujet, est aussi mesuré.
Typiquement, ces informations sont présentées de façon agrégée pour un segment spécifique d’enregistrement. Cela permet d’évaluer la répartition des émotions ressenties sous forme de pourcentage. Consultez ce billet de blogue pour une illustration basée sur les débats des chefs lors des élections fédérales pour une illustration.
Alternativement, il est possible de présenter les résultats non agrégés en continu où l’on observe les fluctuations des émotions du sujet au fur et à mesure qu’elles se produisent.
Le processus de lecture des émotions faciales se déroule en 3 étapes.
- La première étape est la détection du visage. FaceReader utilise l’algorithme Viola-Jones (2001) pour détecter la présence d’un visage.
- La deuxième étape est la modélisation du visage basée sur la méthode des modèles à apparence active (Active Appearance Method) décrite par Cootes et Taylor (2000). Le modèle est formé avec une base de données d’images annotées, qui permet la description de plus de 500 points du visage et de sa texture. Les points-clés comprennent (A) ceux qui délimitent le visage, qui est la partie utilisée par FaceReader, (B) les points du visage qui sont facilement reconnaissables, comme les lèvres, les sourcils, le nez et les yeux. La texture est importante, car elle fournit de l’information additionnelle au niveau de l’état du visage. Les points clés ne donnent pas d’informations telles que la présence de rides et la forme des sourcils, qui sont importantes pour la classification des expressions faciales d’une personne.
- Finalement, la classification des expressions faciales est prise en charge par un réseau de neurones artificiel. Pour la création de ce dernier, plus de 10 000 images annotées manuellement ont été utilisées.
Les applications
L’analyse des émotions faciales présente des applications dans plusieurs domaines. Chez imarklab, nous utilisons surtout cette méthode dans le développement et l’évaluation de sites Web et applications. En croisant avec des mesures d’oculométrie, nous sommes en mesure de mieux comprendre la réaction des gens face à certains contenus et éléments d’interface. Bref, l’analyse des émotions faciales nous permet une évaluation plus objective de la réaction des gens que si nous nous fions uniquement aux commentaires de ces derniers.
De plus, cette méthode présente plusieurs applications dans la recherche en psychologie, en comportement du consommateur et en recherche marketing.
Sources :
- Ekman, P. (1970). « Universal Facial Expressions of Emotion », California Mental Health Research Digest, vol. 8, p. 151-158.
- Ekman P. (2007). Emotions Revealed, Holt Paperbacks, 2ième édition, 320 p.
- Noldus (2015). « FaceReader Methodology », 6 p.