Selfie, égoportrait, égocentrisme ?
Rendez-vous dans plusieurs sites touristiques d’envergure, et vous les verrez partout autour de vous : les selfie-sticks. La selfie (ou égoportrait en bon français) est bien ancrée dans notre quotidien 2.0. Que ce soit une actrice, un politicien ou votre voisin, elle donne la possibilité à tous de faire la promotion de soi-même, d’une idéologie, etc.
Un article paru en septembre dernier dans le European Journal of Marketing (Lim, 2016) dresse un portrait complet du phénomène selon cinq dimensions que nous résumons un peu plus bas. Croyez-le ou non, la selfie est beaucoup plus qu’une mode futile née de la tendance égocentrique des milléniaux. C’est un phénomène social fascinant. Remontons un peu dans l’histoire afin d’en adresser les différentes facettes…
La selfie comme phénomène socio-historique
Saviez-vous que la première selfie remonte à 1839 ? C’est Robert Cornelius, un chimiste amateur, qui fut le premier à prendre une photo de lui-même à l’arrière du magasin de son père en Philadelphie. Or, l’accessibilité des selfies telle que nous la connaissons aujourd’hui est assez récente – merci à la technologie et à la naissance du Web 2.0.Tout a commencé avec les caméras numériques dans les années 90. Depuis, nous sommes libres de prendre autant de photos que nous voulons et les trier plus tard. Le phénomène a pris de l’ampleur dans les années 2000 avec l’apparition de MySpace en 2003, et des photos #selfie sur Flickr en 2004. Par la suite, Apple a propulsé le tout en 2010 en introduisant un iPhone avec une caméra selfie-friendly. Les choses ont un peu dégénérées en 2014 avec l’apparition du selfie-stick, qui a dû être banni de plusieurs sites touristiques, dont Disneyland, pour des raisons de sécurité. Aujourd’hui, plus d’un million de selfies sont prises tous les jours, et 17 millions téléchargées et partagées.
La selfie comme outil technologique
La selfie est un produit de l’écosystème digital – Elle est produite, distribuée, et consommée dans une logique numérique cyclique. Une « bonne » selfie, qui génère des likes, du feedback positif et des abonnés, est caractérisée par une expression faciale flatteuse, et la fine pointe de la technologie. Alors que le premier critère est subjectif, le deuxième est facilement contrôlable grâce à une multitude d’applications nous permettant d’éditer nos photos, d’appliquer des filtres, et même de nous embellir (plusieurs applications comme Facetune existent pour éliminer nos boutons et blanchir nos dents). D’ailleurs, un projet de recherche a montré que les photos avec des filtres sont plus efficaces pour générer des likes et des commentaires (la preuve ici) !
En plus de pouvoir choisir les filtres qui leur plaisent, les créateurs de selfies ont le choix d’utiliser les plateformes disponibles à leur guise pour garder leurs photos privées, les diffuser uniquement dans leur réseau, ou les diffuser publiquement. Par exemple, certains utilisateurs d’Instagram choisissent de garder le contenu de leur compte privé.
La selfie comme ressource pour les médias sociaux
Parlons d’égocentrisme. Il est vrai que la selfie est un moyen de contrôler l’image que nous projetons. Il n’est donc pas surprenant de voir la publication de selfies associée à l’égocentrisme. Or, selon l’auteur de l’article, c’est une généralisation fautive. En fait, les selfies sont aussi un moyen d’apprendre à se connaître, de s’exprimer, de se positionner socialement (cause, valeurs, etc.) et d’obtenir du feedback social. Bref, il s’agit d’une véritable ressource pour les médias sociaux et non d’une simple pratique narcissique.
La selfie comme outil marketing
De façon générale, les marques et les produits s’intègrent dans les selfies sous forme d’activité ou d’événement. C’est ce qui se produit lorsque vous prenez une selfie lors d’un concert, à un restaurant, dans une boutique, etc. D’un point de vue marketing, le rôle subtil des marques dans les selfies les rend plus appréciables auprès des consommateurs. Puisque la notion de publicité n’est pas explicite, les messages transmis sont perçus comme plus humains, authentiques et fiables. En ce sens, les campagnes de selfies sont une alternative intéressante aux stratégies faisant appel à des ambassadeurs de marques et des porte-paroles, qui sont parfois pointées du doigt pour leur manque d’authenticité. Ici, les consommateurs sont les porte-paroles.
La selfie et l’éthique
Les selfies soulèvent beaucoup de questionnements éthiques. D’une part, elles mettent l’emphase sur la façon dont le monde extérieur perçoit l’apparence d’une personne plutôt que sur sa valeur réelle, et peuvent mener à des cas extrêmes ou dangereux. D’autre part, une selfie maladroite peut affecter considérablement l’image publique d’une personne, de son employeur, ou d’une marque. Ce fut le cas de Danny Green, un joueur de basketball américain, qui a posté une selfie au Mémorial de l’Holocauste à Berlin en 2014 en utilisant le mot lol dans la description de la photo…
La création de contenu de marque commandité par des influenceurs est questionnable au niveau éthique. Techniquement, une marque peut payer un blogueur pour parler de son produit, mais ne peut pas le payer pour en parler en bien. Or, le blogueur en question ne sera-t-il pas tenté d’en parler en bien pour continuer à collaborer avec la marque ? Les frontières éthiques sont floues à l’heure actuelle. Les entreprises doivent trouver comment utiliser les selfies comme outil promotionnel en étant honnêtes et transparentes afin de créer du contenu perçu comme étant authentique par les consommateurs.
Que penser des selfies ?
Contrairement à la croyance populaire, la selfie ne date pas d’hier. Avec le développement technologique actuel, elle ne risque pas de disparaître prochainement. En tant que société, nous apprenons graduellement à se l’approprier tout en se mettant des barrières lorsque nécessaire. C’est d’ailleurs ce que Disney et plusieurs autres sites touristiques ont fait en bannissant les selfie-sticks. Sans abus, la selfie va au-delà du narcissisme, et a un grand potentiel marketing pour les marques et les personnalités.
Je terminerai avec ce constat tiré d’une étude sur la signification des selfies en termes de personnalités : il semble que la fameuse duck face (visage de canard) dégage quelque chose de négatif. Elle projette l’image d’une personne instable émotionnellement (névrosisme), particulièrement si le visage est photographié de près (Qiu et al., 2014).
Que pensez-vous des selfies ? Les utilisez-vous dans un contexte marketing ?
Source : Lim, W. M. (2016), « Understanding the selfie phenomenon: current insights and future research directions », European Journal of Marketing, vol. 50, no 9-10.
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